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Entretien avec E. Finkiel

9 mai 2008

Entretien Peux-tu parler des deux mediums, photo

Entretien

Peux-tu parler des deux mediums, photo et vidéo, du passage de l’un à l’autre ?
J’ai fait ma première exposition en 97 et ma première vidéo la même année. Ce sont deux écritures différentes. En photo, ce qui compte, c’est l’instant "t", où "ça" se produit. Dans un film, les personnages ont un avenir, même si c’est une illusion parce qu’aucune scène ne change à la dixième projection… Il y a eu cette période où je filmais au lieu de photographier et je rapportais le présent chez moi, pour l’attraper tranquillement, au 24e de seconde. Avec le mouvement, je me détache de la forme fixe, violente, de l’abstraction aussi. Le personnage évolue, respire. Et puis j’aime les histoires : le personnage qui vit des trucs, qui parle… Dans un film on peut mettre en scène des mots prononcés, photographier des voix. Il y a aussi toutes les étapes depuis l’écriture jusqu’à la projection. Tous ces aller- retours entre l’imaginaire et le réel, qui n’existent presque plus que l’un pour l’autre.

Pourquoi as-tu fait l’image toi-même ?
Un photographe tient son appareil. Avec, il touche le monde. Je suis là dans mon époque de toute façon, "go create", la pub Sony, il y a le côté "tout le monde peut être connu" avec la télé réalité, et le côté "tout le monde peut faire un film" avec une caméra et un ordinateur. Un téléphone. On n’a plus le même rapport à l’objet caméra. Il y a une désacralisation, c’est aussi pour ça que l’écart se creuse entre les gros films et les autres. Dans le générique, les dénominations classiques ne correspondent plus vraiment à la réalité pour un film comme le mien, et comme il y en a de plus en plus. Le cinéma change avec les gens qui le regardent et ceux qui le font, avec les moyens qu’on a de le faire, vaut mieux le laisser avancer.

Je t’ai vue te démener, décider de faire un long-métrage quasiment seule. Ton film est comme un manifeste.
Disons que je revendique juste une liberté de faire les choses. Ça a été ultra violent tous ces gens qui m’ont dit "Tu feras pas de film". Mais pour moi c’était nécessaire de le faire. Je ne me suis pas dit en 97 je vais tourner en vidéo parce que ça fait bien, mais c’est devenu mon instrument et c’est avec lui que j’aime travailler.

En combien de temps as-tu tourné tout le film ?
Les acteurs étaient tous en tournage ou en répétition. Comme j’ai finalement tout enclenché rapidement, ils me donnaient du temps par-ci, par-là. Ils ont tous dit oui tout de suite avec enthousiasme, ils y croyaient, c’était génial.

Comment as-tu inventé toutes ces histoires ?
J’allais sur Internet chez des copains, je trouvais ça fascinant d’avoir accès aux autres comme ça, depuis sa chambre, et c’est essentiellement de là que sont venues les premières idées. Je me demandais "Mais qu’est ce qu’ils ont à vouloir se montrer et à vouloir regarder les autres", ce qui se développe outrageusement avec la télé réalité…

Comment expliques-tu cette espèce d’envie d’aller se montrer et aller voir ?
Ça les rassure, je pense, de voir comment font ceux qui leur ressemblent… avec cette idée que chacun peut devenir un "héros", une célébrité… L’idée d’exister vis-à-vis de beaucoup d’autres, d’être aimé et regardé. Comme un croyant l’est par Dieu, mais Dieu, ça ne suffit pas. Le retour n’est pas suffisamment direct, rapide ! Il y a un besoin d’être compris et soutenu… Le fantasme du "Je ne serai plus jamais seul" se réalise aujourd’hui. Les images comblent notre manque. Et le rapprochement inattendu ou improbable de gens, c’est de cela aussi dont je suis partie, Internet permet ça, c’est le reflet d’une façon poétique de construire.

Mais là tes personnages, plus ils essayent de se connecter plus ils sont seuls.
Il y a une déresponsabilisation quand tu es face à ton écran. Quand les personnages se retrouvent les uns face aux autres, c’est une réalité plus ou moins construite et confortable qui les laisse tomber, et ils sont ramenés à leur solitude, aux choses sans écran, pour les protéger.

On ne sait pas ce qui va se passer dans la seconde d’après et le personnage ne franchit pas la porte parce qu’il doit aller raconter quelque chose mais parce qu’il y a quelque chose d’organique qui se passe, comment tu es arrivée à ça ?
C’est une logique, interne alors, spéciale, peut être, je ne sais pas… La part intuitive prend peut-être beaucoup de place dans mon travail… C’est une façon de respirer qui est propre à chacun, d’écrire et de concevoir un enchaînement. La situation se révèle au lieu de se développer peut-être, s’étend comme un liquide sur du tissu en le colorant progressivement… en réseau, plus que de façon linéaire. J’ai toujours construit mes expos ou mes livres de photos comme si chaque image était un mot pour faire une phrase ; à partir du moment où on les juxtapose, un fil se tire entre elles et provoque une sensation ou une idée dans la tête de celui qui les regarde. Il y a la partie que tu contrôles, que tu diriges, en organisant les éléments, et puis il y a tout ce qui se fait dans la tête des gens, et qui est immense. Les mots et les scènes ont des fonctions, on les utilise, et on en joue, la poésie a du sens.

Tous les personnages ont une espèce d’opacité. Au fond, tu cours toujours après l’image de ce qu’ils pourraient être…
S’il y a une profondeur, j’aime autant qu’elle naisse des rencontres entre les personnages, de la construction de l’ensemble. Ça rejoint cette façon de raconter une histoire. Les personnages n’agissent pas parce qu’ils ont une raison évidente de le faire, ils le font et on les sent, on les suit, à cause de leurs gestes, des situations qui s’enchaînent… D’ailleurs on ne les voit jamais dans une vie professionnelle qui pourrait les déterminer socialement. Je n’ai pas envie que l’identification ou la compréhension d’un personnage se fasse grâce à ce genre d’étiquette pesante, qui finalement n’apporte pas grand-chose. Je n’en ai pas besoin. Pour l’histoire, j’ai l’impression que c’est pareil, on a du mal à raconter le film facilement, en commençant par "c’est l’histoire de". Il échappe sans cesse. J’aime bien qu’on ait du mal à l’enfermer dans une boîte, comme pour les personnages, et comme pour les gens dans la vie.

Pourquoi as-tu pris une adolescente de 14 ans comme personnage principal ?
Quand on est adolescent, il y a quelque chose d’intransigeant, sans concession, radical. Cette envie de pousser les murs, de casser les barrières et de croire que c’est essentiellement possible. On n’a pas peur de grand chose, plus on vieillit plus on a peur, sauf après, si on devient sage. Nat, est quelqu’un qui n’est pas encore trop déformé, pas cassé, neuf, prêt à ouvrir les yeux, à comprendre des choses sans être trop arrêté par 1.000 idées qui font barrage à ce qui est nouveau… Et le côté ludique, qui vient peut-être plus de l’enfance, mais qui est encore là… Cette façon de prendre certaines choses très au sérieux, et d’autres pas du tout. Disons qu’ils ne placent pas le sérieux, la gravité aux mêmes endroits que les adultes, ce qui permet d’éclairer les choses différemment.

Cette famille semble particulière, mais, en fait, elle représente une famille normale. 
Pour moi c’est une famille de base, avec des rêves et des modèles de rêve de base où tout le monde est bien gentil et bien à sa place. On part d’un truc lisse et on gratte le vernis, on voit ce qu’il y a dessous. Les personnages se rapprochent du cliché ou de la caricature. J’aime ça justement parce qu’ils sont plein d’idées reçues. Ils sont utiles pour faire sortir des cases ce qu’on y avait mis à moisir, les rénover, leur rendre la vie. Les personnages sont utilisés pour parler de la réalité, ils ne sont pas forcément là en tant que reflet de la réalité. Le fait qu’il y ait une rencontre réelle entre Nat et Adrien, on a l’impression que quelque chose n’est plus jamais pareil après, pour Nat. On peut penser que sur Internet rien n’est grave, on peut tout recommencer (ils jouent en réseau, ils tuent toute la journée, meurent et renaissent plusieurs fois par jour), on a différents pseudos, on clique dessus, on entre en relation et puis on peut disparaître, ou zapper l’autre comme on veut… Derrière l’écran on a de nouveaux réflexes, un nouveau rapport à l’autre. La mort des autres dans une vie, ça change des trucs pour toujours. Conscience de la mort, voilà. Et conscience de la vie… de l’irrémédiable, qui semble être absent parfois, du virtuel.

Pourquoi dis-tu que ce n’est pas pessimiste ?
Tous mes personnages sont mus par le désir de vivre et de vivre bien. À travers tout c’est l’élan vers la vie qui reste, persiste. J’aime la personne qui traverse tout pour se dresser vers la lumière, comme un combat pour des idées plus grandes. On peut aussi dire qu’une illusion qui se casse permet la conscience et donc l’acceptation et le dépassement, l’accès à une joie, éclairée disons.

Tu veux continuer à faire des films ?
J’ai appris beaucoup avec le premier, j’ai envie d’aller plus loin et j’écris, naturellement. Et puis que ce soit avec les photos, des films, les livres, c’est comme si je construisais un monde, un ensemble de choses qui soit cohérent, qui s’organise avec ses propres règles.

EMMANUEL FINKIEL

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